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KOKORO NO YOÏ

Le texte qui suit, Kokoro no Yoï, est extrait de l'introduction du traité d'Ogasawara Ryu, le deuxième volume du Gendaï Kyudo Koza (Traité sur le Kyudo Moderne) constitué de sept volumes. Il a été écrit par Saïto Chobo, pratiquant accompli d'Ogasawara Ryu et historien respecté du Kyudo, qui a été instruit sous l'autorité d'Ogasawara Kiyoaki Senseï, le 29ème maître de la lignée Ogasawara Ryu, et qui a atteint le niveau de hitoharikyu menkyo. Ce texte a été écrit en 1968, deux ans avant sa mort survenue en 1970 à l'âge de 69 ans.
Cet essai bref est remarquable par son style économe, clair et direct. Je pense qu'il est déterminant pour deux raisons : parce qu'il touche à des aspects fondamentaux de l'esprit du kyudo, qui à mon avis sont d'une telle importance que sans eux il est impossible de vraiment apprécier ce qu'est le kyudo ; et parce qu'il le fait d'une manière remarquablement franche et sans prétention. Il vient tout droit aux faits et ne mâche pas ses mots. On y trouve le véritable esprit du kyudo, expliqué avec une lumineuse simplicité et une perspicacité aussi perçante qu'une pointe de flèche.
Il est intéressant de noter que dans tout cet essai Saïto Chobo utilise le mot " kyujutsu " quand il se réfère à l'archerie; le mot kyudo n'apparaît en fait qu'une seule fois, et il choisit souvent de ne désigner l'archerie que par le simple mot " yumi " (l'arc). C'est parfaitement cohérent avec l'usage japonais. Bien qu'on entende rarement aujourd'hui le terme kyujutsu, il était très communément utilisé pour désigner l'archerie il n'y a pas si longtemps. L'utilisation qu'en fait Saïto Senseï est d'autant plus significative qu'il est un pratiquant accompli de la plus ancienne tradition d'archerie encore vivante au Japon; ses vues sont donc solidement ancrées dans la tradition et n'ont donc rien d'original. (...)


Earl Hartman, novembre 1997

 

KOKORO NO YOÏ, de Saïto Chobo
(Préparer son esprit)

Préparer son esprit est essentiel. Beaucoup dépendra de la motivation initiale de la pratique, suivant qu'elle a commencé sur un coup de tête, ou qu'elle s'appuie sur une solide résolution. Mais dans tous les cas il faudra garder à l'esprit les points suivants.

  1. Choisir le professeur adéquat
  2. Aborder l'arc avec humilité
  3. Ne pas copier les autres
  4. Être également attentionné à chacun de ses tirs
  5. Ne pas avoir la grosse tête
  6. Ne pas perdre l'intérêt
  7. Pratiquer sans relâche
  8. Faire de la cible son seul but

1. Choisir le professeur adéquat
S'il y a bien différentes manières de choisir un professeur, par exemple selon qu'il soit bon pédagogue ou non, ou selon qu'il traite ses élèves avec générosité ou non, il faut en premier choisir un professeur qui a un shajutsu correct (la technique du tir) et un esprit correct. Faire une erreur dans ce choix conduira inévitablement à ce que vos longues années d'efforts ne fassent de vous qu'un archer indigne et vulgaire.

2. Aborder l'arc avec humilité
Tant que vous recevez des instructions, vous devez abandonner votre ego et vous en remettre totalement à votre professeur. Si vous ne pouvez pas suivre votre professeur, il vous faut en prendre respectueusement congé.

3. Ne pas copier les autres
La pratique du kyujutsu varie suivant les aptitudes physiques et mentales de l'étudiant. Corriger votre tir d'après ce que vous voyez dans le tir des autres est quelque chose qui n'est possible qu'aux tireurs très expérimentés. Copier les autres détruirait la progression de l'étude et serait une cause d'échec. L'entraînement correct est un lent cheminement. La qualité du tir qui serait acquis en copiant ce que vous voyez sur un quelconque pas de tir n'aurait pas plus de valeur qu'une copie.

4. Être également attentionné à chacun de ses tirs
Il y a un ancien enseignement qui dit " Cent mains, une main; une main, cent mains " (la 'main' signifie une 'paire de flèches'). Il signifie que deux cents flèches tirées sans soins ne valent pas deux flèches tirées avec attention, et que deux flèches tirées avec attention en valent deux cents tirées sans soin.
Parmi les pratiquants, on en trouve qui veulent par orgueil tirer simplement le plus grand nombre possible de flèches, et d'autres plutôt nonchalants qui n'en tirent paresseusement que quelques unes. Les deux attitudes sont mauvaises; l'approche correcte est de tirer le plus grand nombre possible de flèches, mais avec application et assiduité. Mon professeur m'a dit " celui qui tire cent flèches par jour ne progressera ni ne régressera ". Si vous voulez faire des progrès, il faut tirer plus de cent flèches par jour, jour après jour.
Si vous tirez sans concentration, c'est inutile et même préjudiciable; vous devez faire l'effort de tirer chaque flèche avec un esprit ferme et résolu. Il ne faut pas faire l'erreur de penser que tirer avec soin c'est expérimenter au hasard. Tirer exige une maîtrise technique. " La connaissance suit l'action " doit être la méthode en kyujutsu. Il faut pratiquer encore et encore, exactement comme il vous a été enseigné. C'est comme ça que vous pourrez pénétrer un certain secret, saisir le tour de main, ou apprendre le truc (kotsu). Alors le professeur vous corrigera et vous expliquera le secret. C'est ainsi que le kyujutsu doit être étudié.
Le monde d'aujourd'hui est chaotique, et je suppose qu'on ne peut éviter que les gens cherchent à comprendre d'abord, pour essayer de maîtriser ensuite. Mais les pires embêtements viennent de ces gens pour qui la connaissance précède l'action, et qui sans réfléchir écoutent ou lisent des fragments de choses qui ne leur ont pas été enseignées par leur professeur.

5. Ne pas avoir la grosse tête
Parmi tous les arts martiaux, il n'y en a pas un qui ait plus tendance à favoriser la grosse tête que le kyujutsu. Si vous prenez deux flèches, faites face à la cible, la touchez avec les deux flèches, ce toucher de la cible, est le même pour quiconque, indépendant de la qualité de l'archer.
Il y a toujours de gens qui pensent, après avoir pratiqué l'arc pendant un an ou deux, " sur cent flèches mon professeur en a mis soixante-dix dans la cible, mais moi j'en ai mis quatre-vingts. Je suis meilleur que mon professeur. " ou quelque chose du genre. Un pratiquant musclé sera rapidement capable de tirer un arc plus fort que celui de son professeur. Si son arc est plus fort que celui de son professeur, et s'il touche la cible plus souvent que lui, il commencera à devenir d'une arrogance navrante. Il commencera à dire " Il n'y a personne dans ce dojo qui peut encore m'enseigner quelque chose. " Bien sûr il est encore à un stade où il n'est pas conscient de ses propres faiblesses car sa pratique est superficielle et manque de maturité; plus tard il pourra dépasser cette faiblesse et atteindra un stade où il sera clairement conscient de sa propre médiocrité. Pour certains cela peut prendre dix ou quinze ans; et il y en a qui n'atteindront jamais ce stade où ils peuvent se voir clairement eux-mêmes. Ceux qui sont affligés de ce défaut doivent vraiment être pris en pitié; car quand tout est dit, ils ont finalement gâché du temps et de l'argent à pratiquer l'arc par orgueil, pour se montrer aux autres, afin de récolter des compliments de la part d'ignorants, ce qui ne vaut pas un clou.

Si, avec un esprit qui reconnaît que la Voie est sans fin, vous continuez à avancer sans relâche jusqu'à atteindre ce stade où vous pouvez vous voir vous-même, vous serez étonné de découvrir combien vous êtes minable et rempli de défauts, et sentirez la nécessité de corriger tous ces défauts jusqu'au plus petit. C'est à ce moment que naîtra la vraie confiance qui provient d'être face à face à son vrai soi. Même si les gens prétentieux peuvent tirer devant leurs cadets d'un air assuré, ils commencent à trembler de manière pitoyable dès qu'ils doivent se mesurer à quelqu'un qui les dépasse.
Pour quelqu'un qui se connaît et a la vraie confiance, les gens qui regardent n'ont aucun rapport avec lui. Même quand personne ne regarde, il tire au mieux de ses possibilités; et quel que soit le nombre de personnes qui regardent, il ne peut mieux tirer qu'il ne le fait habituellement. Il montre simplement son authentique soi naturel. Il ne court pas après les louanges et n'est pas touché par des réflexions désobligeantes. Je pense que ceci est une bonne leçon que le kyujutsu peut enseigner. La Voie est sans fin. Je souhaite de tout mon cœur que vous, le lecteur, continuerez d'avancer avec humilité.

6. Ne pas perdre l'intérêt
Quoiqu'il arrive, perdre l'intérêt pendant l'entraînement est rédhibitoire. Cela peut prendre de nombreuses formes: certains perdent l'intérêt rapidement, d'autres après quelque temps, d'autres encore après avoir atteint un assez bon niveau; mais c'est en aucun cas acceptable. C'est avec une attitude qui considère que vous pourrez peut-être atteindre, après dix ans de pratique, seulement un tout petit niveau d'habileté, que vous devez pratiquer inlassablement et avec patience.

7. Pratiquer sans relâche
Vous devez pratiquer tous les jours, même si ce n'est que pour trente minutes. Il n'est pas bon de pratiquer par exemple toute la journée du dimanche, et de ne pas tirer du tout de la semaine. Si vous n'avez pas la possibilité d'aller jusqu'au dojo, il faut alors au moins pratiquer subiki (ouvrir l'arc à vide sans flèche). Une autre bonne méthode est d'installer une makiwara à la maison et de pratiquer tous les jours. Le tir à la makiwara peut devenir monotone, et il y a des gens qui ne l'aiment pas, mais c'est très utile. Si vous essayez de tirer à la cible quand vous êtes débutant vous risquez de détruire votre posture sans en être conscient, mais la makiwara n'a pas ce défaut. Les gens ont tendance à vouloir tirer en se détendant entre amis, mais dans de telles conditions non seulement vous ne ferez aucun progrès, mais vous aurez de grandes chances de prendre de mauvaises habitudes. Pour ceux qui trouvent la makiwara ennuyeuse, je souhaite qu'ils sachent faire preuve de patience et pratiquent jusqu'à ce qu'elle devienne intéressante.

8. Faire de la cible son seul but
Il y a parmi les pratiquants de kyudo ceux qui disent qu'il n'est pas nécessaire de toucher la cible, que la seule chose nécessaire est d'avoir une forme correcte; il y en a même qui disent que la forme n'importe pas, que seul l'esprit est la chose importante. Bien sûr, ceux qui ont un esprit tordu seront toujours sources d'ennuis quoiqu'ils fassent; et pratiquer avec une forme incorrecte n'est pas bon. Cependant avoir la forme correcte (la technique du tir) et ne pas toucher la cible est contre nature. Ne soyez pas égaré par cette ineptie. Si la forme de votre tir est correcte, la précision ne peut qu'en résulter. Je veux que vous n'oubliez pas que manquer la cible signifie que quelque chose ne va pas.
Si vous pratiquez l'arc avec assiduité, vous en obtiendrez un bénéfice spirituel. Mais le kyujutsu est par nature une activité physique, et si vous souhaitez vous engager dans la recherche spirituelle, vous aurez des résultats plus rapides en pratiquant quelque chose comme zazen plutôt que l'archerie.
Kiyoaki Senseï (Ogasawara Kiyoaki, le 29ème maître d'Ogasawara Ryu) m'a dit un jour : " Plus une personne tire à l'arc, pire elle devient. " Un grand nombre de personnes trouvent certainement étrange cette affirmation, mais en un sens elle est certainement vraie. Je veux que ceux qui commencent l'arc fassent attention à ce point. C'est ce que je veux dire quand je dis : " faites de la cible votre seul but ." Une personne qui a seulement la cible pour objectif, quel que soit le nombre d'années de pratique, n'a aucune chance d'être corrompue.
Cependant un étudiant de l'arc va au début pratiquer avec un dévouement total pour toucher la cible; mais rapidement dès qu'il va réussir à toucher la cible, il cherchera à participer à des compétitions pour ramener des prix. Quand il aura progressé un peu plus il cherchera les grades et les diplômes d'enseignant. Puis finalement il voudra une position reconnue dans la communauté des archers, même si pour cela il doit pousser un peu du coude d'autres personnes. Il y a peu de personnes qui peuvent éviter d'être corrompues dans ce processus.
Je veux que ceux d'entre vous qui commencent à pratiquer l'arc évitiez résolument d'être entraînés vers ces chimères. Sans même parler des victoires en compétitions, obtenir un grade ou un diplôme d'enseignant ne changera jamais un mauvais tireur en un bon tireur. J'irai encore plus loin en disant que les places d'honneur n'apportent que des ennuis et n'ont rien à voir avec la pratique de la Voie.

 
 
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